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“Quand le mammifère urbain rencontre le mammifère rural”

Guillaume Leterrier est berger urbain, ex-développeur territorial en économie sociale et solidaire.

Depuis 2012, les membres du collectif Les Bergers Urbains élèvent des moutons en Seine-Saint-Denis. Pour défendre la paysannerie en ville, ils font paître leurs brebis domestiquées à Saint-Denis, Bondy, Aubervilliers, valorisant ainsi les espaces verts et créant un lien spécial avec les habitants. 

Portrait: ©Teresa Suarez


En quoi est-ce que une brebis peut bouleverser notre regard sur la ville?

Guillaume Leterrier: Notre collectif propose une gestion plus douce des espaces verts en réintroduisant un petit peu de sauvage dans la ville. Le mouton va pâturer, on va trouver différentes formes d’herbes et retrouver des prairies fleuries. C’est l’occasion de s’interroger sur notre sédentarité.

Le berger, le troupeau, c’est vraiment l’image du nomadisme. Le mouton a toujours le même rythme. On est obligé d’attendre, ça ne sert à rien d’aller plus vite. Quand le mammifère urbain rencontre le mammifère rural, il devient plus humain. 

Ça marche assez bien et du coup, en ralentissant la ville, elle redevient plus agréable. Quand on regarde un mouton qui circule d’espaces verts en espaces verts, on se rend compte qu’il y en a partout en ville, beaucoup plus que ce qu’on pourrait croire. Du coup, c’est un peu comme un baromètre de la ville.

©Guillaume Leterrier pour Les Bergers Urbains

La transhumance urbaine est-elle une nouveauté ou une pratique oubliée?

Ça a toujours existé. On s’est appuyé sur un ancien droit moyenâgeux qui était le droit de vaine pâture et qui permet de pâturer tous les champs, tous les espaces qui sont ouverts, non clôturés et non cultivés.

Paris ne serait jamais devenue une grande ville sans les pâturages tout autour. En gros, l’élevage disparaît des villes à partir des années soixante et l’invention du frigo. Il y a quinze ans, l’agriculture urbaine nourrissait, selon les chiffres de la FAO, entre 15 et 30 pour cent de la population, principalement dans l’hémisphère sud. Ca n’a donc jamais vraiment totalement disparu. 

Comment négociez-vous la mobilité de votre troupeau en ville? 

On travaille avec la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP). On déclare tous les déplacements de nos troupeaux au moins un mois à l’avance auprès de la préfecture, au cas où ils seraient porteurs et transmetteurs d’une maladie. On demande également une autorisation de circulation sur la voirie auprès de chacune des communes dans lesquelles on passe. Le troupeau doit circuler sur les trottoirs, pas sur la route. Les moutons sont super domestiqués, ils ont bien conscience de la marche sur le trottoir.

On n’a pas vraiment de problème avec l’aménagement urbain. Mais par contre on voit que la ville est beaucoup plus agréable quand elle est ouverte et verte. On est un peu des ambassadeurs du territoire qui vont travailler sur la gestion des espaces, montrer comment gérer autrement les espaces verts et les animer aussi plus facilement.

©Guillaume Leterrier pour Les Bergers Urbains

On est sur des coûts équivalents, mais avec plusieurs fonctions: animation, sécurité, médiation, des choses comme ça. Et ça permet d’avoir une notion de terroir. On peut produire une viande au goût caractéristique avec les mêmes animaux nourris à des endroits différents. Plus la palette des saveurs est large plus c’est sympathique. Il y a un intérêt à travailler là dessus et à valoriser les territoires urbains.

Estimez-vous que la transhumance urbaine devrait être généralisée? 

On est pas les seuls hurluberlus à le faire. En fait, il ne faudrait pas parler de transhumance parce que la transhumance se déplace sur des grands espaces, nous, on fait du pâturage en parcours et de la déambulation. On a accompagné pas mal de gens: Lyon et Marseille s’y mettent, Bruxelles s’y est mis aussi. La demande existe. On pourrait imaginer des réseaux d’éleveurs autour de Paris à l’échelle de collectivités territoriales, des partages d’usages, des prairies qui fonctionnent mieux, avec plus de biodiversité. 

Quand on perd la relation à l’animal, il y a quelque chose qui gratte. On voit bien qu’il manque un truc. Du coup, le fait de pouvoir le remettre en place, c’est proprement essentiel pour la ville de demain.