Derrière la couverture médiatique du Covid-19 et ses reportages sensationnalistes sur le confinement se cache une expérience bien plus ordinaire, celle d’un temps révolu, des femmes au foyer de l’après guerre, et de ma grand mère avec qui j’ai vécu les premières années de ma vie.
Ma grand mère et moi ne sortions presque jamais, c’est vrai qu’il n’y avait pas grand chose à faire dans notre petit village. Ma grand mère n’avait pas le permis de conduire et tout était conçu pour la voiture dans notre campagne.
Je me levais très tôt le matin pour dire au revoir à ma mère avant qu’elle parte au travail, mes oncles et mon grand-père se préparaient aussi à partir. Ma grand mère leur chauffait du café. Il y avait toujours du pain, du beurre, du choco et de la confiture sur la table.
Seuls moi et ma grand mère restions à la maison. Je ne me souviens plus exactement de ce qu’elle faisait toute la journée. Je jouais avec mes legos, mes voitures ou je rêvais en feuilletant des tracts publicitaires, j’y passais tout mon temps. Ma grand mère étalait le linge dans le jardin, elle y arrachait les mauvaises herbes, elle y cultivait de la rhubarbe, des groseilles et des framboises. Elle me demandait de rester près d’elle, ce qui me forçait à sortir de mon monde imaginaire.
Nous regardions la TV ensemble et faisions la sieste tous les après midi. J’ai le souvenir de passer des heures dans la chambre de ma grand mère à rêver les yeux ouverts ou fermés, à sentir les vieux draps et l’odeur de sa peau. On regardait ses vieilles photos, nous ouvrions la boîte de ses vieux bijoux et nous parlions de chose les plus intéressantes au monde. Je n’ai jamais ressenti le besoin de rencontrer d’autres enfants.
Nous sortions de la maison qu’une fois par semaine pour faire les courses. C’était à chaque fois toutes une expédition. Ma grand mère n’a jamais voyagé de sa vie, à l’exception d’un city trip à Londres qu’elle avait réalisé après la guerre. Préparer une journée d’excursion dans une ville voisine lui causait déjà assez de tracas. Rien que l’idée de sortir de Belgique la rendait anxieuse.
Nous n’avions pas beaucoup d’argent mais ça jamais été un problème. On se moquait des familles bourgeoises pour lesquels mon grand-père faisait de la plomberie, on riait de leurs lubies qu’il nous racontait le soir après son travail, de leurs grands aires et mesquineries. Les quelques années que ma grand mère travailla avant de se marier lui avait procurées toutes les connaissances nécessaires pour gérer le budget familliale, un budget dont elle gardait jalousement le contrôle et qu’elle gérait avec précision afin que personne ne manque de rien dans le cocon familial.
J’ai l’impression aujourd’hui de perpétuer sa façon de vivre et de me retrouver à nouveau confiné comme durant mon enfance. Je prépare le café du matin exactement comme le sien, j’y trempe une tartine comme à l’époque et je m’accorde même parfois une petite sieste réparatrice entre deux séances de télétravail. Je suis de retour à mes origines, sans voyages, sans achats superflus, sans cinéma, sans salle de sport et visites de musée. C’est comme si finalement tout le reste avait été une parenthèse, et que on revient au fond toujours à une réalité très ordinaire.
Je me plais à imaginer que beaucoup d’enfants sont en train de vivre les mêmes moments de confinement avec leurs parents ou grand parents. Loin des agendas surbookés et des activités parascolaires, peut-être l’ennui reprend-il ses droits dans leurs vies quotidiennes, peut-être prennent-ils l’habitude de rêver et d’imaginer: une qualité bien utile pour le monde de demain.