L’impôt, la taxe et la redevance permettent aux Etats de financer leurs dépenses, d’investir dans leur futur et celui de leurs citoyens. Les Etats peuvent également dépenser plus que ce qu’ils récoltent, et s’endetter auprès de banques. Ces dernières font alors appel souvent à un mécanisme de création monétaire et prêtent plus que ce qu’elles possèdent. Le même mécanisme est utilisé pour financer les projets des particuliers et des entreprises, il accroît la quantité théorique des richesses disponibles en prédiction de ce que les Etats, les particuliers et les entreprises seront capable de produire.
A quoi l’impôt ressemblerait-il si la création monétaire n’était plus seulement gérée au niveau des banques mais aussi des citoyens? Que se passerait-il si nous recevions en plus de notre revenu habituel de nouveaux euros créés spécialement pour nous, une part égale des nouvelles richesses que la population est estimée pouvoir produire dans son futur ? Comment cette nouvelle source de revenus influencerait nos comportements, et comment celle-ci nous encouragerait à investir autrement ensemble?
Pour explorer ce thème, nous avons organisé, en collaboration avec
l’association Monnaie Démocratique France, deux ateliers citoyens au Lab SuperPublic (Paris, 2 septembre 2019). Nous avons distribué des fiches de paie provenant de plusieurs pays et demandé aux participants d’imaginer à quoi ces fiches ressembleraient si elles incluaient la perception d’un “droit d’unité”: une somme provenant d’une processus de création monétaire et qui serait réinvestie dans des projets publics d’avenirs. Nous avons débattus des avantages et inconvénients de ce nouveau droit (et devoir), dans quelle mesure cette nouvelle source de revenus pourrait faire réfléchir les citoyens autrement sur leur argent présent et futur, sur la signification de l’investissement public et des impôts.
Voici le compte rendu.
La fiche de paie, pour quoi faire?
Une hypothèse que nous avions faite durant la préparation de nos ateliers était que la fiche de paie se prêterait idéalement à une conversation citoyenne autour de l’impôt et de son usage par l’Etat.
Nos conversations durant les ateliers nous ont cependant permis de très rapidement comprendre que cette préoccupation n’était pas toujours partagée, ou du moins que la fiche de paie n’était pas nécessairement le meilleur médium pour expliquer l’impôt. La feuille de paie sert avant tout aux employés et fonctionnaires à savoir combien ils gagnent à la fin du mois, et pour certains à vérifier les heures supplémentaires comptabilisées par leurs employeurs.
Les participants de nos ateliers se sont plaints des acronymes et du jargon administratif utilisés dans leurs fiches de salaire, du fait que leur format change d’année en année, et qu’il faut trop de temps et d’effort pour décrypter les calculs effectués.
Le fait d’y regrouper les impôts et taxes en catégories telles que pension, santé et sécurité sociale est généralement bien perçu, mais à condition que cela reste lisible, la priorité étant de pouvoir contrôler son budget personnel.
Néanmoins, certains participants ont exprimé le besoin d’être rassuré sur la façon équitable dont leurs impôts sont calculés, ce qui se traduit entre autres par la mention des charges patronales à côté de celles salariales sur leur fiche de paie. Ce décompte est à leur yeux important afin de maintenir une “paix sociale”.
Voir quelques exemples de fiches de paie à travers le monde
Voir les fiches de paies idéales telles qu’imaginées par nos participants
Les dépenses de l’Etat, problème ingérable pour le citoyen?
Pour nos participants, une fiche de paie doit donc rester simple. Mais cela n’implique pas selon eux qu’ils restent passifs concernant l’usage de leurs impôts. Ils ont trouvé des solutions créatives afin de participer aux prises de décisions budgétaires de l’Etat.
Une solution proposée par le premier groupe de participants est de poser une question simple aux citoyens : êtes vous satisfait de la façon dont votre impôt est réparti entre les différents budgets de l’Etat ? Le citoyen pourrait alors choisir entre différentes répartitions proposées typiquement par les partis politiques de leur pays. Ils verraient sur leur fiche de paie quelle est la répartition appliquée sur le montant de leur impôts, par défaut celle proposée par le gouvernement. Chaque citoyen aurait la possibilité de choisir “d’un seul clic” un autre mode de répartition de leurs impôts, au cas par exemple où le gouvernement ne respecterait pas ses promesses, ou qu’un évènement viendrait bousculer les priorités du pays au cours de son mandat.
On pourrait craindre que ce nouveau pouvoir accordé aux citoyens mène à des décisions irréfléchies ou soudaines, et ce au grès des faits divers et campagnes politiques opportunistes. Ce choix aurait cependant le mérite d’être extrêmement simple, et d’encourager les politiques à mieux expliquer (et se tenir) à leurs priorités budgétaires.
Une solution proposée par le deuxième groupe de participants serait d’inclure dans la fiche de paie un détail de à quoi notre impôt est destiné, avec la possibilité de modifier (une à deux fois par an) comment celui-ci est distribué. Des levées de fonds seraient organisées à interval régulier afin de financer les services de l’Etat et les projets proposés par le gouvernement. Ces campagnes ressembleraient beaucoup à des collectes de fonds pour associations, ou encore du crowdfunding. Chaque citoyen pourrait faire son choix en fonction de ce que les autres ont déjà décidé d’allouer, évitant ainsi que des budgets moins populaires mais pas moins importants soient délaissés sans que personne ne puisse réagir.
Cette solution paraît très risquée, et compromettrait le financement de projets bénéficiants seulement à certaines minorités. Cela dit, son mécanisme inspiré par le crowdfunding, avec son objectif de campagne à atteindre et l’affichage en temps réel des fonds récoltés, permettrait de pallier au moins en partie au risque de budgets yoyo croissants et décroissants en fonctions de l’actualité. Certains de nos participants pensent qu’un tel pouvoir décisionnel les inciterait à plus s’intéresser aux questions budgétaires, à se responsabiliser et prendre des décisions plus altruistes.
Dépenses courantes vs. investissement dans l’avenir
En dernière partie de notre atelier, nous avons demandé aux participants quelle serait leur réaction si une ligne supplémentaire se rajoutait à leur fiche de paie: 1000 euros distribués à tous sans aucune condition, une somme provenant d’un mécanisme de création monétaire géré au niveau de l’Etat. Le droit d’unité serait un pari: celui que l’investissement de chaque citoyen dans son avenir produirait autant de richesses, sinon plus, que si il était octroyé par des institutions bancaires.
L’idée d’un tel apport souleva de nombreuses questions parmi nos participants.
- Est-il imposé?
- Serait-il possible d’utiliser cette somme afin de payer nos impôts, et en particulier la part allouée aux projets dits d’avenir: éducation, grands chantiers industriels, etc?
- Puis-je dépenser cette somme comme bon me semble ou uniquement afin d’investir dans mon avenir? Et si oui, qu’est ce que cela veut dire? Investir dans ma santé est-il considéré comme une dépense courante ou un investissement pour le futur?
A la suite de ces questions, les participants ont commencé à s’approprier l’idée et à l’utiliser afin de répondre aux enjeux évoqués lors de la partie précédente de l’atelier. Peut-être le choix citoyen concernant la répartition des impôts devrait se limiter aux investissements d’avenirs, ceux-ci traduisant réellement des choix politiques. Les dépenses courantes, de maintenance, et de raison d’Etat pourraient quant à elles être considérées comme relativement apolitiques, et ne faisant pas l’objet de budgets participatifs.
Conclusion
Loin du stéréotype du citoyen toujours insatisfait de sa fiche de paie, les participants de nos ateliers ont abordé la question de l’impôt avec pragmatisme. Ils privilégient un usage simple de la fiche de paie. Ils sont conscients de la complexité des décisions budgétaires prises par l’Etat et ne souhaitent pas y participer systématiquement. Ils sont conscients de ne pas pouvoir pas tout gérer mais estiment néanmoins qu’ils ont leur mot à dire.
L’idée de faire une distinction entre d’une part les revenus et impôts consacrés à la préparation de notre avenir et d’autre part ceux consacrés à nos dépenses courantes s’est avérée être fructueuse. Cette dichotomie a permi aux participants de repenser l’impôt et d’imaginer des principes et modes de gestion différents pour chaqu’une de ces deux catégories. Le droit d’unité montre comment il est possible de bousculer les façons de penser dans ce domaine, et d’articuler ce à quoi un budget dédié à notre avenir pourrait ressembler.
Ces deux ateliers ont été l’occasion de se rappeler que l’impôt ne se réduit pas un exercice comptable mais reflète des choix politiques. Toucher au format de la fiche de paie, c’est soudainement se poser la question du lien entre citoyen, contribuable et démocratie. La fiche de paie est une opportunité unique de faire un lien entre impôts et enjeux politiques, entre présent et futur, intérêts personnels et solidarité.